Manuel distille ses créations au Havre

Entretien avec le passionné et passionnant Manuel Bouvier, fondateur de la Distillerie de la Seine. Tel un magicien, il donne vie à des spiritueux savoureux et délicats comme le Loupé, la version havraise quelque peu revisitée du célèbre Picon (apéritif à base de gentiane et d’écorces d’orange amères).

Distillerie de la Seine, entre terroir et flaveurs

Issu du milieu agricole, Manuel débarque au Havre en 2000. Il réalise des études d’ingénieur en logistique. Puis l’appel du large se fait sentir, il met les voiles direction une magnifique région la Bretagne. Après quelques années, l’ingénieur revient à son port d’attache, Le Havre. Il se spécialise alors dans le café pendant une décennie. La cité océane est une place forte pour le torréfaction et le commerce de ce produit fermenté.

Revenant à ses premières amours, il se tourne vers le monde raffiné des spiritueux. En effet Manuel est tombé dans la cuve dès petit. Il apprend à distiller avec son père et son grand-père, bouilleurs de cru depuis 4 générations. Lors de ses études il séjourne 6 mois en Écosse (mon article sur le pays des bières au Cask) afin d’explorer le monde des whiskys ; puis 6 autres mois à la Réunion pour découvrir celui des rhums agricoles. Fort de ces expériences empiriques, Manuel décide de passer le pas en 2020. Il part se former à Paris avec le Wine Spirit Education and Trust, puis à Cognac au Centre International Des Spiritueux. Lancées en février 2021, les premières bouteilles de vodka bio et de pastis havrais sortent de l’atelier.

Avec la Distillerie de la Seine, Manuel valorise les savoir-faire de sa région natale et de sa terre d’adoption. Les fruits proviennent du domaine familial sur le plateau de Langres, l’eau de source aussi ! Cette dernière est purifiée à la distillerie par traitement UV, sans osmose ni méthode chimique. Ici, elle réduit le degré d’alcool, après distillation, du produit final. Comme pour la bière, la qualité et la provenance de l’eau ne sont pas à sous estimer. C’est un des petits secrets qui confère la typicité de ces élixirs havrais. Manuel collabore avec des artisans locaux pour les créations suivantes :

  • liqueur à la menthe : le maraîcher Sébastien Argentain pour sa menthe fraîche marocaine. La fabrication suivant la saisonnalité des plantes, cette liqueur est distillée de mi-juillet à mi-août.
  • liqueur de café : la MOF Anne Caron pour sa sélection de cafés costaricains et congolais.
  • pur malt bio édition limitée : la compagnie French Line & Cie pour rendre hommage aux croisières transatlantiques avec le célèbre paquebot Le France.

 

Toujours dans un souci de terroir et d’identité, la très grande majorité des tonneaux est en chêne neuf. Ils proviennent exclusivement de la forêt de Saint-Germain-en Laye (située aux confins des boucles de la Seine). Qui sait … Un jour, un spiritueux barriqué en fût de Calvados, Normandie oblige ! Le distillateur de 42 ans favorise également la réinsertion sociale en faisant appel à l’ESAT Helen Keller. Les adultes en situation de handicap s’occupent de l’embouteillage (20 et 70cL),de l’étiquetage et de la mise en carton.

Cette alchimie s’opère aussi grâce à un alambic à colonne composé de 3 plateaux, réalisé sur-mesure par Manuel et l’entreprise allemande Müller. Selon le trajet des vapeurs d’alcool et le nombre de plateaux utilisés, un profil aromatique spécifique se distingue. Ce dernier peut être à dominance poivré, minéral ou bien sur le registre du grain (d’orge). Outre la base distillée, d’autres facteurs influent les qualités organoleptiques dont la puissance et le temps de chauffe. C’est un véritable travail d’orfèvre qui s’opère entre la machine et le bouilleur de cru. La chauffe s’effectue à l’électricité (sur le principe du bain-marie) permettant ainsi une température homogène et constante. Le revêtement intérieur et extérieur en cuivre de ce magnifique alambic donne de la souplesse aux breuvages distillés. Aujourd’hui Manuel est épaulé par 3 salariés (Manon et Maëlle alternantes, Anthony chargé du développement commercial, présent dès le début du projet) afin de fabriquer et vendre ces breuvages artisanaux. Chaque semaine est dédiée à une fabrication en particulier. Pourquoi donc me diras-tu ? Pour éviter les transferts aromatiques entre les productions pardi ! Un peu comme les pâtes persillées avec les autres fabrications fromagères. Certaines productions sont éphémères et se calent sur la récolte (et la fermentation) des fruits. Spoiler Alert #1 : au printemps prochain un gin sera infusé aux poires du verger familial !

Les flacons havrais ont remporté plusieurs prix dont la référence mondiale dans son secteur : le Concours Mondial de Brussels. La jeune entreprise vient de recevoir le prix DCF Awards qui récompense la qualité de la démarche RSE au service du développement commercial. Une partie des volumes distillés est exportée, certaines bouteilles sont vendues jusqu’au Mexique (le pays de la Vienna Lager).

Le Loupé Amer, de la bière à la bière, un cercle vertueux

Derrière ce joli flacon aux traits épurés, cet amer-bière complexe et équilibré a été concocté par Manuel en 2022 suite à une discussion avec David, brasseur et fondateur de la superbe brasserie l’Havrais Bière. Le brasseur souhaitait donner une seconde vie à ses brassins non-conformes. Manuel imagine alors un amer-bière incluant de la bière, la boucle est bouclée. Cette liqueur est donc fabriquée à partir d’une base neutre de bière distillée, ceci permettant de travailler n’importe quel style. Il faut environ 1L de bière pour élaborer 70 cL de Loupé. Après l’Havrais Bière, d’autres brasseries le long de l’axe Seine (LH, Yvetot, Rouen, Paris) ont suivi : LH Beer Factory, Fabrik2bulles, Ragnar, Paname Brewing Company. A la clé de beaux liens humains tissés entre les brasseuses, les brasseurs et le distillateur. Le logo prend tout son sens ici.

Le Loupé exhale des notes de gentiane jaune et d’oranges, suivies par des notes d’angélique. Conformément au nez, le trio aromatique se développe en bouche. Ce dernier est talonné par des notes fugaces de poivre. Les épices chaudes (dont la cannelle) laissent la place aux notes de caramel liquide qui aurait un peu trop chauffé (rappelant celui des sirops). Au fur et à mesure de la dégustation, les notes fraîches s’effacent donc au profit d’arômes chaleureux et épicés. La longueur en bouche, portée sur l’amertume (des racines de gentiane et du caramel légèrement brûlé) est particulièrement marquée et persistante. Grâce à sa texture sirupeuse, ce breuvage opaque et unique est le parfait trait d’union avec les autres spiritueux de la Maison Bouvier. Marié au Gin, il servira de base au Deep Sea ou au célèbre Négroni. Si tu désires une alternative simple et efficace, ajoute de la Ginger Beer et quelques fruits de saison. Récompensé lors du festival Cocktail Spirit, l’Amer s’est hissé sur le podium à la 3ème place. Honorant les qualités gustatives bien sûr, mais aussi la démarches RSE des producteurs. Forte de ce succès, la Distillerie doit refuser certaines demandes de la part des brasseries.

Voici quelques idées pour marier le Loupé avec des bières.

  • Pale Ale : une certaine résonance sur l’amertume (racine de gentiane, houblons). Contraste entre les saveurs de base, sucrée pour le Loupé, amère pour la bière. La bière houblonnée équilibre le cocktail.
  • Witbier (bière de blé belge) : résonance sur les notes orangées et végétales. La bière blanche gouleyante apporte de la vivacité et joue la carte de la fraîcheur avec cette alliance.
  • Imperial Stout (Stout avec un fort degré en alcool) : résonance sur l’intensité, la texture sirupeuse et sur le registre du sucré. Complémentarité entre les notes gourmandes de la bière (vanille, cacao, café) et les arômes épicés du Loupé. Les saveurs végétales apportent un peu de fraîcheur à cette alliance particulièrement chaleureuse et réconfortante. Un cocktail gourmand qui se boit délicatement.

Spoiler Alert #2 : pour les amatrices et amateurs de bières, une eau de vie de bières sortira prochainement en édition limitée !

 

Pour les Parisiens, il est possible de rencontrer Manuel et son équipe au Salon du Made in France (le MIF expo pour les intimes), pour les Normands c’est au FENO ou à la Transat Jacques Vabre. Pour les Havrais, vous pouvez vous délecter de ses délicieux spiritueux au restaurant La Bise ou au bar à coktails O’ti Bro.

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